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Altriman : le triathlon qui m'a mis KO...

Altriman-13juillet2013-2Le 13 juillet allais-je vraiment capitaliser sur les six mois et demi de préparation et décrocher les lauriers pour ce sacré morceau de triathlon montagnard qu'est l'Altriman ?

Sans vouloir briser le suspens, je dois avouer n'avoir pas terminé cette course fabuleuse.
 
Avec un premier abandon de ma vie, cette année, en VTT (là pour une question de matériel inadapté !) sur les 40 km de dénivelé de la Jean Racine, je ne savais pas si l'Altriman se traduirait par l'abandon du corps et de l'esprit face à la nature.

Sur l'Altriman, je peux dire que je n'ai pas abandonné. Mais en suis-je si loin ?

LE RECIT.

Altriman-13juillet2013-14 heures du mat'. Le réveil sonne avant qu'Éléonore et moi sautions dans nos baskets pour déjeuner, faire les derniers préparatifs (matériel, déjeuner, boisson, crème solaire...) dans notre studio du Grand Hôtel de Font-Romeu.

J'ai prévu un délai court, trop court ! Et, la course doit démarrer de nuit, et la montagne pour rejoindre le lac de Matemale. C'est le début de cette journée marathon. La température de l'air est bonne et les conditions plutôt favorables (il ne pleut pas).

Mais, je me fais vite rattraper par le chrono. Quand j'atteins enfin le parc à vélo, les spots s'éteingnent. Il faut rejoindre le lac, alors que je n'ai pas encore équipé mon vélo des ravitaillements, regonflé les pneus à boyau que m'a prêtés Aymeric, extrait les affaires pour la première transition, et impossible de trouver la vaseline...

L'improvisation est totale, mais sans trop de stress. Pas de vaseline : je ressortirai de l'eau le cou déchiré. Pas de pastille de sel : pour lutter contre la déshydratation. Et les ravitos qui restent dans mon sac à dos que je vais expérimenté sur le vélo - pour la plus grande souffrance de mes lombaires.

Mais je suis content de m'aligner avec Thierry et Gaël, son pote breton, sur le bord du lac. La combi ajustée, le bonnet aux flammes de l'Altriman doublé et mes  attaches de lunettes précautionneusement glissées en dessous. Eléonore, Aymeric, ses parents, Régine ont bravé la nuit et nous encouragent au bord de l'eau.

UN REQUIN DANS UN DÉLICIEUX UNIVERS AQUATIQUE

5h30. Bizarrement, à la différence des autres triathlons, personne ne veut vraiment occuper la première ligne de nageurs. Chacun s'esquive dans les rangs de derrière. La journée va être longue, et les 3,8 km de natation une formalité.

L'organisateur nous a averti : "dans le noir, vous visez la dépanneuse et son girophare de l'autre côté du lac, et les bouées (invisibles d'ici) sont éclairées".

Plongée tranquille donc au coup de semonce. La température de l'eau est idéale. Je ne comprends pas pourquoi un (sale) type s'obstine à me maintenir d'une main ferme sous l'eau. On n'est que 160 concurrents (dont 6 filles) à partir, très loin des 2000/3000 participants habituels des Ironman labelisés. Et la natation n'aura aucune conséquence sur la suite.

Altriman-13juillet2013-3Je ne comprends vraiment pas pourquoi il se comporte de cette façon. Mais, je suis trop content de cette journée que je prépare depuis des mois pour en prendre ombrage. Et, tout le reste est top. Température idéale de l'eau, avec l'aube qui se lève en décalquant les montagnes qui surplombent le lac. Sensations magiques.

À la sortie à l'Australienne, en courant sur le ponton pour replonger pour le deuxième tour, je jette un oeil à la montre. 35 minutes. Très content car j'ai moins nagé que prévu cette année, donc pas au top. Mais le deuxième tour confirme une glisse correcte même si je perds 2' notamment avec la perte de repères due au lever du jour (et à ma myopie).

STAR DE QUELQUES SECONDES

6h42. Les 1h12 pour boucler les 3,8 km de natation me satisfont lorsque je cours à la sortie de l'eau en tirant comme une brute sur le haut de la combi pour l'extraire. En arrivant, essouflé au parc à vélo, ma jolie femme m'interpelle : "tu as oublié le portable !".

Je le saisis et avant même de terminer d'enlever la combi, je tweete ! Les autres triathlètes, dans le speed de la transition, hallucinent ! Tandis que les spectateurs accrochés au grillage du parc à vélo jouissent du spectacle : les triathlètes à poil, le maillot de bain baissé, pour enfiler leur cuissard pour les 8/10 heures de vélo qui les attendent.

Et, le Francis, y tweete pour dire : "ça y est, natation terminée". Avec un beau 60ème temps sur 160. Mais, on ne le sait pas encore. C'est alors que le caméraman débarque et attaque l'interview. "Alors, qu'est-ce que vous faites avec votre portable ?" "Je peux vous filmer en train de pianoter ?" (...)

Les potes de l'autre côté du grillage s'énervent ! Des "Allez Francis !" rageurs et appuyés me disent : "arrêtent de faire le con, dépêche-toi, enchaîne !"

Quand je m'y décide, je remarque que Gaël est sur la chaise d'à côté. Il a terminé dans le même temps. Et lui finira merveilleusement ce putain de défi pyrénéen.

J'enfouche mon Décathlon après 12 bonnes minutes. Car, ça aussi, c'était le pied de nez que je voulais m'offrir. Doubler des gars sur leur super vélo carbone avec un vieux Décathlon en aluminium, dépassant allègrement les 10 kg.

Altriman-13juillet2013-56h55. Je quitte donc enfin sous le ciel couvert du petit matin les bois au coeur desquels est installé le parc à vélos. On attaque vite la première côte, longue mais progressive. Et tout de suite, je me mets en mode balade. À tout prix s'économiser pour terminer.

LA GRANDE ILLUSION...

Et en voyant les gars me dépasser, je me dis : "rira bien qui rira le dernier !" C'est sur le col de la Llose (1866 m) que je me dis que je n'avance vraiment pas, et une première fille me double. Mais je ne bronche pas. Je connais l'usure impitoyable de ces 5000 mètres de dénivelé avec presque constamment des 7 % à 8,5 % de pente constants.

7h40. Je rigole moins au sommet du col ! Lorsque je tape "Envoyer" sur Twitter, ça ne part pas. Je multiplie les tentatives, réécrit le message (...), rien à faire. Après 5 bonnes minutes (et une vingtaine de concurrents qui sont passés), je réalise que le message doit être trop long. Je m'arrête dans la longue descente très dangereuse, que les gars descendent à fond !, pour raccourcir le texte. Ca marche !

Sur le bas de la descente, à un peu plus de 1 000 mètres d'altitude, un triathlète râle car les juges aident un concurrent qui a des problèmes mécaniques. L'assistance est en principe proscrite, alors que les juges s'y prêtent : c'est le règlement FFTri à l'envers !

Je sympathise avec Christophe. Très ouvert, ce quinquagénaire novice en triathlon me stupéfait par ces maigres mais impressionnants faits d'arme. Une première année de triathlon, l'an passé, il attaque direct l'Embrunman et le termine dans un super temps. C'est d'emblée une sacrée carte de visite.

Mais il est surtout sympa, et je redoute que la surmultiplication de son pédalier-cassette ne le brise avant l'arrivée. Il n'en sera rien, et il va même terminer l'épreuve victorieusement en 18 heures.

Ce que j'apprécie surtout, c'est sa simplicité et sa bonne humeur qui nous ont conduit jusqu'au dur col de Creu (1 750 m avec des pentes destructrices). Je le lâche en fin d'ascension pour me faire plaisir, reprendre des personnes qui m'avaient doublé dans ma prudente montée.

Je m'offre, là, ma plus grande illusion ! "Je n'avance pas et c'est voulu, je gère, mais quand je veux, je peux appuyer !", pensais-je alors.

... ET LE RETOUR SUR TERRE

9h16 et 2h10 depuis le début du vélo au Col de Creu. Christophe me repassera à la faveur d'un arrêt Twitter ! On se rejoindra plus loin dans la jonction nous amenant au pied du col hors catégorie de Pailhères. On est alors avec un bon groupe, dont une fille - je pense la championne de France de triathlon longue distance qui terminera 2ème féminine.

10h24. Je tweete encore lorsque le groupe attaque l'ascension au pied de Pailhères. Je retrouve Eléonore pour le deuxième encouragement. Elle a réussi l'exploit de me rejoindre par d'autres petites routes de montagne et on a failli se rater de 5 minutes.

Mon calvaire va se faire maintenant. C'est moins le 8 % sur 15 bornes, puisque j'ai tout à gauche (vitesse la plus petite), que l'état de forme qui va révéler mon illusion. Difficile mentalement de ne pas m'arrêter alors que le souffle devient difficile au fil du dénivelé constant du col. Je parviens tout de même, en doublant quelques concurrents, à mes 1h09 d'ascension.

Mais c'est une grande claque que je me prends. Je réalise vraiment, pour la première fois de la journée, tant j'ai géré auparavant, que je suis vidé de toute énergie, de toute capacité à faire une telle course, un "jour sans"... Malgré toutes les conditions extérieures idéales pour réussir (pas trop chaud, ciel couvert, ravitos parfaits, etc.).

Mais, pour moi, c'est le vide. Aujourd'hui je n'ai aucune substance, aucune moelle pour porter mes efforts. Le ralenti.  Et après le tweet des 2 000 mètres du sommet et une descente rapide, le col de Chioula devient une tuerie. Là, je m'arrête au milieu de ses 8-9 %. Seul au monde dans cette partie déserte du parcours.

Le soleil évidemment rayonne maintenant au plus fort de mes difficultés. Quand j'atteins le col, le tweet de Chioula annonce juste le calvaire pour cette portion facile du parcours avant d'attaquer les 15 % de transition vers le plateau de Rodome. Je pense maintenant aux barrières horaires.

Après 14h15 à Gess (140ème kilomètre), je serai arrêté pour dépassement de temps. Je redoute cette issue même si je n'avance pas. Et je donne tout ce que j'ai, ce qui est bien mou... Eléonore m'attend depuis deux heures à Rodome. Elle a encouragé tous les coureurs, servi au moins 100 bidons, échangé avec une trentaine de personnes et appris les histoires de la région...

L'esprit familial du triathlon, entretenu avec foi par les organisateurs, rend l'épreuve réellement humaine. Eléonore n'en revient pourtant pas quand au loin, je ne relève pas la tête penchée sur mon téléphone. Rodome-Gesse, une dizaine de kilomètres et la barrière horaire, bientôt...

Avec un Breton, perclus de crampes depuis Pailhères, on lance nos vélos dans la descente vers la barrière de Gesse. Il me précède et ne s'arrêtera pas quand l'organisatrice lui dira que c'est fini pour lui. Idem pour moi. Avec + 10 minutes sur la limite horaire qui a pourtant été repoussée d'un quart d'heure.

Pour moi, qui m'arrête !, c'est un soulagement. J'endurais la torture et aurais continué. Mais, je ne pense pas que j'aurais survécu au col suivant, celui qui me fait le plus peur à cette heure de la course...

Aurélie, la jeune Suissesse un peu dingue a crié sa rage lorsque elle s'est faite arrêter à son tour sur la barrière horaire. En sanglot, elle a jeté un : "cela fait trois ans que je prépare cette course, je me sens bien, je peux continuer. Vous n'allez pas m'arrêter !", désespérée. Elle a dû rendre sa puce, mais a continué la course, envers et contre tout ! Hors classement officiel (elle terminera le vélo). D'autres l'ont suivi. Mais pas moi !

BILAN

Je pense que mentalement, je m'étais préparé à cette issue : ne pas terminer. Je n'aurais rien pu faire de plus ce samedi là. La préparation physique et le potentiel musculaire étaient ok. Mais pas le jus.

Je me suis mis tellement de défis cette année, repoussé aux limites que je n'imaginais pas possible l'épuisement de mes ressources pendant les six premiers mois de 2013, avec de multiples projets, des nuits courtes, une dépense constante d'énergie pour le boulot journées, soirs et week-ends (mais également pour d'autres objectifs), que je savais que cela pèterait quelque part. Inconsciemment. Et malheureusement sur l'Altriman.

Pourtant, la semaine précédant l'épreuve, des nuits de 9 à 10 heures agrémentées de siestes et de randonnées n'auront pas permis d'effacer ce déploiement d'effort, de pression imposée et subie, d'usure lente et irrésistible.

Pas de regret, donc, je ne suis pas surhumain. Et, je pense avoir réussi sur d'autres plans, d'autres projets...

Il était prévu que je revienne sur l'Altriman en 2014 avec Aymeric et Thierry déjà mais aussi mon club de Liévin (Éric, Mickaël, Jean-Denis, et d'autres j'espère). Je sais que cela voudra dire une nouvelle prépa de 350 à 400 heures souvent à l'heure où d'autres ronflent, en dépit d'intempéries et avec si peu de jours de repos sportifs qu'ils passent sans qu'on ait le temps de les voir. Exister est peut-être à ce prix-là.

Ceux qui vont le subir seront encore Eléonore et les enfants, envers qui je suis profondément reconnaissant. Cette liberté qu'ils m'octroient n'a pas de prix. Et si j'essaie en permanence de les léser le moins possible, ce rythme de vie ne m'offre que peu de marges. Bravo à eux, donc, soutiens permanents et indeffectibles. À qui, cependant, j'aurais aimé offrir une victoire sur cet Altriman : terminer...